30.7.13

Savlanout

Il est environ 14h20 quand je finis ma pause déjeuner et reprend le service, la joie au coeur.
Il fait 35 degrés à l'ombre et c'est mon tour de m'occuper des tables dehors, la joie au coeur.
Mon manager me demande si gentiment d'aller prendre une commande de 5 personnes à la table n°30, la joie au coeur.
Arrivée à destination, la grand-mère de la famille hésite entre le sandwich au thon et celui au fromage de chèvre, "je peux commander moitié de l'un moitié de l'autre ?", "non" je lui réponds, la joie au coeur.
30 minutes plus tard la mamie s'est enfin décidée, la commande est faite, la joie au coeur.
9 minutes plus tard : "Mademoiselle, pourquoi on est toujours pas servis ?". Je vais vérifier en cuisine, la joie au coeur.
20 minutes plus tard j'apporte tous les plats, la joie au coeur.
"De l'eau avec des glaçons et du citron". "Bien sûr" la joie au coeur.
"Puis-je débarrasser ?" la joie au coeur.
"On veut commander des cafés", "oui un instant je reviens avec quelque chose pour noter", "non non pas besoin c'est facile".

La mère :           - grand café au lait
                          - très chaud

La grand-mère : - petit café au lait
                          - un peu de crème
                          - lait 2% de matières grasses


La fille ainée :    - la même chose avec lait normal


Le père :            - coca cola

La fille cadette : - petit café au lait
                          - très léger
                          - dans verre take away
                          - lait soja
                          - tiède
                          - beaucoup de crème
                          - lait chaud à côté
                          - eau chaude à côté
                          - un peu de cannelle dessus

Et ma tarte dans ta gueule tu la veux aussi ? La joie au coeur...
                       

24.7.13

Oups

Aujourd'hui j'ai confondu le mot "sakoum" et "koussot". Le premier signifie "couverts" (fourchettes, couteaux) le second évoque le sexe féminin en slang.
Mais pas le slang genre même ta mère elle le dit en chuchotant, non le slang où même seul au milieu d'un désert tu hésiterais à l'utiliser.

La majorité de la clientèle où je travaille est constituée d'habitués âgés d'au moins 75 ans.

Aujourd'hui j'ai confondu le mot "sakoum" et "koussot" en plein service en demandant à un serveur qui se trouvait à l'opposé de moi s'il pouvait m'aider à dresser une table.

Soit j'arrête d'apprendre des gros mots soit je change de taf. 
Va falloir trancher. 


22.7.13

Banc public

Parmi les joies de l'apprentissage d'une nouvelle langue, il y en a une qu'on attend tous avec impatience et sans retenue, celle des gros mots.
D'ailleurs on ne l'attend pas, on l'attrape avant même d'avoir acquis le passé, le futur ou les différentes règles de grammaire qu'on pense pouvoir éviter, mais qui nous attendent toujours au tournant d'une phrase ou d'une réflexion telle que "ah...27 ans déjà que vous êtes venu vous installer ici...".

C'est sans doute le fait d'avoir arrêté les cours d'hébreux en ce mois de juillet, qui me pousse violemment à m'auto-instruire. Avec joie et l'aide de Danah, bartender qui travaille avec moi dans un café où la clientèle est constituée de 95% de personnes âgées. 

Comme toutes nouvelles leçons on en étudie d'abord ses bases. Rien de bien passionnant, on retrouve comme partout, les "fils de p***" (bien qu'en Israel existe une variante "fils des p***s" ), les "co**ards", "sa**pes", "c*ns"... Toute la série des faciles/rapides/efficaces.

La seconde partie de la leçon traite des plus compliqués, intéressants que personne n'aborde, même pas ceux qui sont nés en Israel. Ce ne sont même plus des gros mots mais des formules insensées.
Cela donne : "Leh tassi hamoutsim !" traduction "Va te faire des cornichons aigres-doux !" ou plus élaboré "Leh tassi hamoutsim bé bichbach !" traduction "Va te faire des cornichons aigres-doux à l'aneth !" (no comment)
On retrouve dans la même famille : "Leh tassi maïm rothim !" : traduction "Va te faire de l'eau bouillante !".
Pas besoin d'être Einstein pour comprendre qu'on évoque ici : non pas l'expérience, mais la patience requise pour préparer des cornichon aigres-doux ou de l'eau bouillante. 

Savoir comment un peuple s'emporte en jurant, peut aussi s'avérer majeur pour approcher d'encore plus près sa culture. Les israéliens, sont tout, tout, tout sauf patients...
Je me demande vraiment qui a dit le premier un truc pareil et je m'imagine aussi la réaction du premier qui l'a entendu.
Il y a quelques semaines en rentrant chez moi, trois vieux messieurs étaient assis sur un banc.
A quelques mètres déjà j'entendais qu'ils se chamaillaient. Au moment où je passe à leur hauteur, j'entends l'un d'eux traiter l'autre de "mouche". Ce dernier lui répond qu'il est une "merde". Ce à quoi le premier rétorque "bah toi tu es une mouche à merde !"
S'en est suivi un fou rire général, fini par un silence.

A ce moment précis je savourais le fait de comprendre enfin de quoi les gens pouvaient se traiter ! 

19.7.13

Et non !

Hier il est exactement 4h20 du matin quand je descend, suivie d'un jeune homme et d'une vieille dame, du sherout n°66 (taxi/bus/fourgon-où-tout-le-monde-tape-la-discute).
En coeur nous nous dirigeons tous les trois dans ma même direction : le sommet de la rue Bialik (l'Everest quoi).
Il fait très chaud, il y a au moins 125% d'humidité dans l'air, aucun des Jackson Five ne pourrait rivaliser avec ma coupe, fatiguée j'opte pour la facilité et remarquant que le jeune homme marche à vive allure, je décide de suivre ses pas.
La vieille dame, qui se trouvait derrière moi, est très vite éliminée de la compétition, au bout de quelques mètres ni moi ni le jeune homme ne l'entendons. On ne saura jamais ce qui lui est arrivé...

Appelons le jeune homme "Bob" pour aller plus vite.

Bob et moi, sommes donc les deux seuls survivants de cette randonnée.
Tout semble bien se dérouler, je pense enfin à enlever le gilet que je portais dans le sherout à cause de la clim, j'ai donc l'impression d'avoir moins chaud pendant 2 secondes, mes jambes sont au taquet et mon coeur aussi.
À mi chemin, oubliant de marcher sur les pas de Bob, un écart se creuse entre nous.
Heureusement Bob se retourne, me jette un coup d'oeil, et de plus belle je reprends du rythme. Cet écart, je ne sais pour quelle raison, fait naître en moi l'envie de le dépasser. J'accélère alors la cadence en essayant de ne pas éveiller chez lui le moindre soupçon...
Nous sommes maintenant au trois quart du chemin, j'arrive à constater qu'il ne porte pas de baskets bleues foncées mais noires, je gagne du terrain et m'imagine déjà sur la première marche du podium.
Bob qui n'a sans doute pas dormi depuis très longtemps, commence à zigzaguer légèrement de gauche à droite... Dois-je moi aussi zigzaguer pour ne pas ralentir ? Bob essaye-t-il de me déconcentrer ? Ou est-il tout simplement bourré ?
Très vite je comprends qu'il ne fait qu'éviter les nombreux cafards morts sur notre chemin, une fois le cimetière dépassé, Bob trace tout droit, suivi de mes pas lourds mais décidés.

Ca y est, j'aperçois enfin le fabuleux passage piéton qui marquera la fin de cette traversée !
Le feu piéton est rouge, Bob comme tout israélien qui se respecte attend gentiment son tour (il est 4h du matin dans la banlieue de Tel Aviv...) je profiterai de cette aberration pour traverser à l'arrache et le semer !
À moi la victoire, arrivée enfin à sa hauteur je me redresse fièrement, Bob me prend par surprise et me lance en souriant : "Et non, c'est moi qui ai gagné !".

Pfff mais quel gamin...

17.7.13

Sergio

Voici les trois conseils que Sergio, chauffeur de taxi d'origine argentine, arrivé en Israel il y a 30 ans,  me donne pour trouver un mari.

1. Prends le..."moche". Sergio considère qu'un homme trop beau ne sera jamais "mien" à 100%. Qu'il ira voir ailleurs, et que même s'il est fidèle, je mourais de jalousie à force d'observer les regards envieux des autres demoiselles (et demoiseaux).

2. Prends le..."timide". D'après Sergio un homme trop sûr de lui et grande gueule finira par dicter ma vie.
Son exemple : "Va dans un café avec lui. Quand le serveur prend votre commande, observe son ton et ses mimiques. S'il commande son café en criant "je veux un café comme ça et comme ça..." et qu'il s'exprime avec engouement, à haute voix et en faisant des grands gestes avec les mains, alors tu dois l'oublier. Mais s'il commande son café en hésitant, en étant un peu intimidé par le serveur et en parlant calmement alors c'est ce genre de garçon qu'il te faut.

3. Prends le..."chiant". Par chiant, Sergio voulait littéralement dire : qu'il ne fume pas, qu'il ne boive pas, qu'il ne sorte pas trop, qu'il ne mange pas n'importe quoi, qu'il ne fasse pas d'excès en tout genre. J'en ai  donc traduit par "chiant".

Avant de sortir du taxi je demande à Sergio s'il est marié, il me répond qu'il est divorcé alcoolique léger, gourmand, qu'il ne fait pas de sport et qu'il est accroc au jeu de hasard, mais qu'il est heureux maintenant car sa femme était une vraie sorcière castratrice...

Elvis For Ever - Part I & II

Je ne sais pas exactement combien il y a de taxis à Tel Aviv, j'ai jamais compté, mais de jour comme de nuit il me semble parfois être plus nombreux que les habitants...J'ai du en prendre environ 10 depuis mon arrivée, il y a 4 mois. 

La probabilité de rentrer dans le plus connu des taxis de la ville, était, si mes calculs imaginaires sont bons, de 0,12 %.
Non seulement je suis tombée dessus, mais pas qu'une fois...


Evis - Part I

Dans la rue Dizengoff, longue...très longue, il est 3h du matin, j'ai encore beaucoup d'argent à dépenser bêtement, je décide de me la jouer Rothschild et de rentrer en taxi à Givataïm, banlieue de Tel Aviv.
J'en laisse passer une dizaine, n'étant pas assez fatiguée pour me décider.
Finalement, mes pieds crient "famine", un taxi passe au même moment, je suis en route pour la maison, mes pieds me remercient.
Au volant du véhicule, un petit homme haut comme trois pommes, qui a du perdre la moitié de sa dentition et dont les origines doivent être marocaines ou irakiennes (à cette époque et encore maintenant je ne saisis pas toutes les nuances des visages israéliens).
Après m'avoir demandé mon adresse, il met en route le lecteur CD. Je reconnais vaguement la version My Way d'Elvis Presley, quelque chose cloche mais la fatigue aidant je me dis que l'enregistrement doit être pourri ou qu'Elvis était définitivement cuit quand il l'a fait. À la moitié du titre, le chauffeur se tourne vers moi et me dit que c'est lui qui chante. J'ai à peine le temps de comprendre, qu'il me montre l'album qui l'a fait à la mémoire du King et les articles qui racontent son histoire, publiés dans plusieurs journaux israéliens. Sur la pochette de l'album je reconnais notre chauffeur, photo en noir et blanc, pose de crooner, petit air d'un jeune Enrico Macias, au verso plus d'une vingtaine de chansons et d'autres photos de lui face au micro en pleine action. Fier, il augmente le volume et passe à un titre plus "swing" dont le nom m'échappe. 

    Je remercie à ce moment même le trafic inexistant dans la ville, les feux de circulations qui passaient très vite au vert... Non seulement je n'ai jamais eu d'atomes crochus avec Elvis, mais Monsieur le taxi driver massacrait le peu d'atomes qu'il me restait. J'essaye tout de même de m'intéresser à la passion du personnage. Malgré son amour pour le chanteur américain, son anglais reste très approximatif et mon hébreu est inexistant. 
Je décide alors d'opter pour le langage des signes, mais celui un chouia condescendant :
je balance ma tête de droite à gauche et tente de fredonner l'air de la chanson, que je n'ai jamais entendu de ma vie. 
Arrivée à destination, je paye, lui souhaite bonne nuit et rentre chez moi avec My Way en tête.

Quelques jours plus tard je raconte à une amie israélienne ma rencontre, elle m'apprend qui il est, chauffeur de taxi nationalement connu, sa passion pour le King a fait de lui une star. 


Presley - Part II

Deux mois plus tard, je retombe sur lui : même heure, même quartier, même discours, mêmes chansons, mêmes articles. Mon hébreu a évolué et je peux enfin communiquer avec lui.
J'apprends que notre chauffeur ne chante en live que pour ses proches, jamais pour les clients et qu'il ne peut expliquer sa passion, mais qu'il considère Elvis comme le plus grand de tous les plus grands, de tous les plus grands...

Si mes calculs sont bons, il travaille minimum depuis vingt ans, cinq jours par semaine, sept heures par jour. Il a donc écouté environ 34 000 heures d'Elvis Presley et ce juste, dans sa voiture. 
Si j'en crois encore mes calculs, je pense que c'est un signe, qu'on ne rencontre pas deux fois en quatre mois le plus grand de tous les plus grands, de tous les plus grands chauffeur de taxi de Tel Aviv. 

Peut-être que moi aussi je dois m'y mettre à Elvis, ou que je dois passer mon permis "chauffeur de taxi" ou peut-être que je dois juste faire des photos en noir et blanc avec une pose de crooner et enregistrer des reprises de Barbara.