30.9.13

Cheh !


Hier quand je rentre de mon cours de zumba il est environ 20h30.
Je suis chargée comme une mule parce qu'ayant envie de viande suis allée m'acheter un steak et à la caisse il y avait une offre à 3 bouteilles de vin pour 90 shekels (moins de 20 euros), et comme un bon pigeon j'ai succombé.

Pour rejoindre mon habitat il me faut obligatoirement emprunter des escaliers. Pas des escaliers sympathiques où tu te dis "chouette ça va me faire les mollets" non ceux où tu te dis "p**** de ta r*** sa mère la chauve, son père le frisé je vais clamser la gueule ouverte si ça s'arrête pas !"

J'ai donc compris avec le temps qu'il vaut mieux les monter deux à deux et qu'il ne faut jamais, ô grand jamais, regarder devant soi. Au contraire mieux vaut se focaliser sur ses pieds pour ne pas être découragé par le nombre de marches qu'il reste à grimper...

Bref, hier soir il fait nuit, j'ai chaud, un sac de courses lourd à ma main droite je m'approche de la montagne. Au milieu de celle-ci une vieille dame, qui porte une robe noire, s'aide de la rampe du côté gauche pour la gravir, et porte comme moi un sac de courses (bien plus léger que le mien).
Détail important : je sors d'un cours de zumba qui m'a donné la sur-patate et je suis bien décidée à les plier en deux secondes ces marches.

Je m'élance telle une gazelle avec la grâce qu'on me connait, ma technique est indémodable, mon rythme infaillible, ma main droite plus haute pour ne pas laisser traîner les courses car mon centre de gravité est plus bas. Je suis bien, je me sens comme un bouquetin des Alpes qui joue à cache-cache en altitude. Je m'apprête à dépasser la mamie, je suis fière mais commence à suer à grosses gouttes quand même. Je dépasse la mamie, à peine l'ai-je dépassée que la mamie dit en soupirant "ah la jeunesse..." à peine ai-je le temps de lui répondre par un mini rire condescendant qu'à la seconde même où je ferme la bouche mes pieds décident de faire n'importe quoi, mon premier réflexe est de sauver les 3 bouteilles de vin je lève alors le bras très haut, je sens mon point de gravité chuter, je me ramasse comme une m**** dans les escaliers, les bouteilles se cassent, le steak se noie, la température de mon corps augmente de 45 degrés, je m'auto-check de suite : "c'est bon rien de casser", je me sens c**, en deux demi-seconde je regarde autour de moi pour vérifier si à part la mamie il n'y a pas d'autres témoins, n'ayant pas mes lunettes ce désir est vain, je reprends petit-à-petit mes esprits, la mamie arrive alors à ma hauteur, je m'apprête à lui dire "je vais bien ne t'en fais pas" elle me dépasse, m'enjambe quasiment et dit en soupirant "ah la jeunesse..."

Tfouu tfouu tfouu elle et son oeil de corbeau !!


                                          Illustration, Sarah Vieille


22.9.13

Chifoumi


Il existe plus d’une dizaine de plages à Tel Aviv. Celle des français, celle des chiens, celle où les jeux de raquettes (matkot) sont interdits, celle des homosexuels qui est d’ailleurs juste à côté de celle des religieux…Elles ont toutes un point commun, outre l’eau de mer, le sable, les parasols et les pigeons de mer (oui ils sont différents de ceux de la ville, plus musclés, plus bronzés aussi) elles sont liées par le même objet, un objet extrêmement paradoxal : une balance. Pas celle où on pèse les patates et les olives, non celle qu’on utilise pour se peser nous, êtres humains, et qui se trouve habituellement dans notre salle de bain…
Oui mesdames et messieurs, une balance analogique est installée à chaque sortie de plages et elle est gratuite. Elles semblent toutes marcher et sont, on peut le dire, complètement inutiles.
Tout le monde y passe, les gens se disputent parfois pour ne pas y passer les premiers. En début de semaine, deux amis se promenaient, l’un d'eux voit la balance et dit à l’autre « monte », ce dernier lui répond « non, toi le premier ! » s’en est suivi une partie de chifoumi en 3 manches pour savoir lequel allait devoir se peser en premier. Mais les gars avant même de jouer j’ai envie de vous dire « mais pourquoi ? pourquoi voudrais-tu te peser devant tout le monde, le soir, alors que tu te promènes tranquillement une glace à la main, avec une balance qui est si ça se trouve mal réglée et qui va te saper le moral pour le reste de la soirée ? Oui pourquoi ! » 

Il y a trois jours j’ai donc essayé la balance, à côté de la plage des homosexuels, j’ai d’abord oublié que je portais encore mon sac de plage en montant dessus, (ce qui au fond ne changeait pas grand chose au chiffre) et j’ai enfin compris l’intérêt.
Primo, seule la personne qui se pèse peut voir son poids, elle peut donc mentir, personne ne vérifiera. Deuxio, tout réside dans le processus de culpabilité.
En effet, à peine installée dessus, j’ai ressenti un espèce de soulagement, une pensée m’a traversée : « c’est bon tu as fais ta B.A du jour, tu as vérifié ton poids, tu as pris soin de ton corps ». Bah oui bien sûr que je me suis dis ça, la moitié des chiffres ne s’inscrivent pas correctement sur l’écran : par exemple, on a donc le premier bâton du chiffre 8 qui peut aussi être le bâton du 6 ou du 1. Ca fait donc plaisir au moral, rien n’est précis mais le sentiment reste le même : je me suis pesée devant plein de gens, j’assume mes rondeurs et je les assume tellement que je vais faire comme si je n’avais pas compris le poids inscrit et vais manger une glace, là, maintenant, tout de suite !

4.9.13

"Le petit David est appelé à l'accueil..."


C’est la folie partout, Rosh Hashana arrive demain !
Pénurie de miel, de pommes, de grenades, mais surtout pénurie de patience chez les gens, pénurie d’attention chez les parents… Bref la tempête avant le calme !
Ce fut donc non sans surprise qu’au supermarché tout à l’heure est arrivé un événement extraordinaire : le petit David a foutu la merde bien comme il faut.

David = prénom donné à tout enfant entre 3 et 13 ans, non seulement chiant, mais antipathique.

Je suis donc au rayon des cafés, quand j’entends un des employés appeler au micro un certain « Igal » au rayon charcuterie. A peine une minute plus tard le micro se remet en marche, avec un peu de difficultés, on entend des petits frottements, et soudainement une voix, celle d’un petit garçon.

Après s’être approprié l’appareil, le bonhomme décide de mettre le feu et surtout de foutre la merde dans tout le supermarché. Il commence par imiter l’employé qui vient de parler au micro, et décide d’inventer et d’annoncer des offres spéciales Rosh Hashana en évoquant des produits qui n’ont absolument aucun rapport avec la fête.

Les bouteilles de Coca Cola deviennent gratuites à chaque achat de rouleaux de papiers hygiéniques, un paquet de céréale est offert à chaque achat de paquet de chewing gum et des kilos d’oignons sont à moitié prix ! Chaque offre est ponctuée d’un shana tovah ! (bonne année !) joyeux et entrainant !
On sent l’agitation dans les rayons, entre les employés qui se pressent vers lui pour le faire taire, la mère du responsable, paniquée, honteuse et fière à la fois que son fils ait réussi un coup d’état, ainsi que les clients qui, par fatigue (j’espère) croient aux offres qu’annonce David et se renseignant, ralentissent dans leur course les employés déchainés…

Enfin, au bout de quelques minutes, le micro lui est arraché et l'on entend la claque que David se prend par sa mère ou par le responsable du magasin. D’un coup tout revient à la normale, Igal est de nouveau appelé au rayon charcuterie et David, lui, sera puni de dessert demain soir.

1.9.13

Chacun son truc



Depuis que la situation en Syrie (ainsi qu'en Egypte) est critique, tout étranger en Israël, qui n’a pas l’habitude d’avoir des voisins peu commodes, finit par interroger tous ses amis israéliens pour savoir comment ils gèrent ça.
Sans céder à la psychose ou la panique, juste pour essayer de déterminer le fossé qui pourrait exister entre les médias européens, les médias israéliens et le sentiment général des citoyens ici.
Ce qui m’a frappé d’abord, c’est qu’aucun, je dis bien aucun de mes proches, collègues ou clients du café n’est paniqué quant à ce qu’il pourrait se passer en Israël avec à la situation syrienne. 
L’habitude sans doute…

Ensuite, c’est l’humour qui refait surface. Voici quelques anecdotes que j’entends depuis quelques jours.

Joyce : 54 ans. Depuis 30 ans en Israël.
« Et donc en général, les attaques se faisaient le soir, plus ou moins à l’heure du dîner. Je me souviens d’un soir où on avait commandé des pizzas parce qu’on avait rien dans le frigo. On est en plein dîner et la sirène retentit. Non seulement on avait la flemme de descendre les trois étages pour aller au shelter, mais en plus de ça on avait faim et les pizzas allaient refroidir. Lital (sa fille, âgée à l’époque de dix ans) me regarde et me dis : « oh non pas pendant la pizza ! » On  se lève tous avec une part de pizza à la main, on va dans la chambre la plus hermétique de l’appartement, on commence à mettre nos masques à gaz, mais comment tu veux manger une pizza avec ton masque à gaz ?! »

Elle continue...

« L’automne dernier quand ça chauffait ici je me souviens d’une alarme un après-midi. J’étais chez ma fille Emilie, avec ma petite-fille. L’alarme a retenti, on s’est vite dépêchées d’aller à l’abri. Emilie a attrapé Lia, moi je m’occupais du chien. A peine avoir franchi la porte, la même pensée nous a traversé l’esprit. On venait d’acheter chacune un sac en cuir qui compte bonbon. Sans rien lâcher j’ai filé dans le salon pour récupérer nos sacs, Emilie en a profité pour sauver une paire de bottes qu’elle venait de s’offrir. Ridicule non ? Et inexplicable. »

Elad : 32 ans. Depuis 32 ans en Israël.
« Avec les masques à gaz ils distribuent toujours une petite dose d’Atropine, que tu peux t’injecter en cas de contamination et qui te permet de survivre jusqu’à ton arrivée à l’hôpital. Tu dois te l’injecter seulement quand tu as les premiers symptômes : difficultés à respirer, maux de ventre, vomissements… Beaucoup, avec la panique et au moindre affaiblissement se l’injectent et vont à l’hôpital du coup, car ils se sont fait l’injection pour rien. Je me souviens j’étais petit, on était dans le shelter avec mes parents et tous les voisins de l’immeuble. Les enfants n’avaient pas des masques à gaz comme tout le monde mais des espèces de cagoules complètement hermétiques avec un espèce de petit ventilateur pour les aider à respirer. On vient donc d’arriver dans l’abri, je mets ma protection et après quelques secondes je commence à me sentir mal. J’ai du mal à respirer et j’ai la nausée. Je préviens ma mère qui immédiatement se muni de l’Atropine. Je suffoque et deviens tout rouge, mon père me retire la cagoule, mes parents sont à deux doigts de me l’injecter, mais je reprends peu à peu mes esprits, en fait c’était la cagoule que j’avais qui sentait trop fort le plastique ou le caoutchouc qui me donnait envie de vomir. Tu vois, ça arrive même aux meilleurs d’injecter la dose pour rien… »

Danah, 26 ans. Depuis 26 ans en Israël.
 « Je me souviens que ma mère avait fabriqué un espèce de masque à gaz pour notre chien. Ça ne ressemblait à rien et surtout maintenant je sais qu’il était complètement inutile, c’était juste pour nous rassurer ma sœur et moi. D’ailleurs je crois même que Nina (son chien) avait plus de chance de mourir avec le masque home made que sans. »

Imaaaa, imaaaaa, imaaaaaaaaa


Ça y est, depuis une semaine les grandes vacances sont finies en Israël. Les bus sont vides, les plages désertes, la sonnerie de la récréation de l’école primaire ET de l’école maternelle en bas de la maison me réveillent tous les matins ainsi que leurs écoliers qui s’y rendent.
Il est environ 7h45 du matin quand le petit David (nous le nommerons ainsi) et sa mère sont sur le chemin de l’école.
Je « dormais » à ce moment là (j’essayais de me rendormir car David venait de me réveiller) donc je ne pourrais pas donner de détails visuels mais je me souviens, malgré l’état de mon cerveau proche du fromage blanc, de tous leurs dialogues.

Voici ce qui se passe dehors, sous ma fenêtre, entre une maman et son enfant, un banal matin, à une heure très matinale.

David : « Mammmmaaaann !! ».
Mère : « Quoi ? » Répond elle sèchement.
David : « Attend moiiiii ».
Mère : « Dépêche toi tu vas être en retard ! »
Je suppose donc que la mère marche devant, David derrière.
David : « Mammmmannnnnn !! »
Mère : « Quoi ?? » Répond elle exaspérée.
David : « J’ai pas envie d’aller en cours, j’ai mal au ventre. »
Mère : « Tous les matins c’est la même mélodie, yalla dépêche toi. »
David : « Mamannnnnnn ! »
Mère : « Quoi ?! » Répond elle en criant comme si son fils était de l’autre côté de la ville.
David : « Mais maman je veux pas y aller, je veux rester avec toi moi. »
Mère : «  Si tu marche pas plus vite, je te garantis que ça va barder !  »

Court silence,  j’ai cru qu’il s’était résigné et qu’il avait enfin décidé d’accélérer le pas, mais non.

David : « Mamaaaannnnnn attend moi ! »
Mère : « J’EN PEUX PLUS JE TE JURE QUE SI TU VIENS PAS ICI TON PERE S’OCCUPERA DE TON CAS ET TU VIENDRAS PAS TE PLAINDRE APRES PARCE QU’IL EST TERRIBLE ! ALLLEZ ! AVANCEEE JE  CRAQUEEE ! » le tout avec une voix cassée et les nerfs qui remontent jusqu’à ma fenêtre.

Silence

David : « Maman je t’aime tu sais… »



 Illustration, Sarah Vieille

Aucun souvenir de la réaction de la mère car à ce moment là j’ai eu les larmes aux yeux, et elle ne devait être loin de les avoir aussi. Ce petit con de David a réussi à me faire chialer alors qu’il venait de me réveiller en criant. 

Voilà ce qui arrive dans une chambre au 5ème étage, un banal matin, à une heure très matinale.