30.11.13

Kawa


Le café c'est important. Sans le café la journée devient soit une journée bien pourrie, soit un calvaire. Pas d'autre option possible. Toi qui me lis et qui aimes le café, tu me comprendras. Toi qui me lis et qui ne connais pas le plaisir de la caféine, va te faire un thé et ne reviens jamais.

Il est 8h50 quand je pars à l'arrache de chez moi pour me rendre chez un avocat afin de signer un contrat de plus d'un milliard de dollars avec une boîte de production israélienne qui m'a désigné comme collaboratrice direct (mito). 
Je suis dans la rue, me dirige vers l'arrêt du bus et j'ai comme l'impression d'avoir un peu la tête dans le cul. "Ciel ! Mon café !": j'ai bien pensé à le préparer mais j'ai tout simplement oublié de le prendre.
La vue d'un kiosque me rassure, même si je rate le bus, rien à faire, j'aurais quand même les yeux en face des trous pour signer le contrat qui changera le cours de l'histoire du cinéma israélien (mito). 
"Bonjour Monsieur, un café "shakhor" à emporter !" (café shakhor = équivalent du café turc, sans le goût de cardamome, avec le marc de café qui reste au fond du verre, avec le marc de café qui reste coincé entre les dents). Le café vous l'aurez compris, qui vous réveille rien qu'à le sentir et qui n'est pas fait pour les faibles de notre monde. 
Je sors le coeur vaillant, café à la main et traverse la rue pour prendre le bus.
Mais un dilemme se pose. Le café est très chaud, le verre bien rempli, le bus arrive dans quelques minutes, le trajet ne dépasse pas sept minutes et mon rendez vous se trouve à quelques mètres de la station, est ce que je devrais retirer le couvercle en plastique, souffler sur le café pour qu'il se refroidisse le plus vite possible, pour avoir le temps d'en profiter un peu ? Ou est-ce que je devrais laisser le couvercle, souffler quand même par le mini trou et ne pas risquer de m'en foutre partout pendant le trajet ?
Je décide de me fier à mon instinct : voir quel est le chauffeur du bus afin d'évaluer le taux de risque et la nécessité ou pas de couvrir mon café. Oui parce qu'après avoir pris presque tous les jours la même ligne, on commence par connaître la conduite de chacun.
Le bus arrive, je vérifie d'un coup d'oeil qui conduit...c'est Dennis. Dennis n'est pas son vrai nom, parce que j'ai jamais franchement tapé la discute avec lui je n'en ai aucune idée, mais Dennis c'est le nom que je lui ai donné, par rapport à Dennis Hopper dans le film Easy Rider. Il ne lui ressemble absolument pas, mais à l'air d'oublier que le bus n'a pas les mêmes proportions qu'une moto, je trouve que ça lui collait bien.
Bref, Dennis est un psychopathe de la route, il va vite, il n'a aucune patience et double à tout bout de champs, Dennis est sympathique, toujours la petite blague quand tu rentres dans le bus, le sourire qui réchauffe le coeur et les lunettes de soleil à effet miroir qui te permets du coup de te checker une dernière fois avant de rentrer dans la jungle de Tel Aviv.

Je choisis donc avant de rentrer dans le bus fou de recouvrir mon café, j'opte pour la sécurité avant de penser à mon petit plaisir. Pas de place pour m'assoir, je me faufile au milieu et me tiens à un des sièges occupé par un vieux monsieur. 
Oui mais voilà, moi, ce couvercle en plastique qui sert à garder la chaleur du café et à le boire en toute sécurité je l'aime pas et je ne l'ai jamais aimé. Celui qui a inventé ce truc devait être très atteint, voir carrément sadique, parce qu'on ne voit absolument pas le niveau du café et qu'on ne sait jamais quand le contact entre café et bouche se fera. On stress, on se prépare mais rien à faire, on se brûle. 
Voulant être capable de m'exprimer devant la grande assemblée qui m'attend chez l'avocat (mito) je retire délicatement le couvercle et change le verre de main, afin de ne pas brûler en cas de chute, le crâne tout lisse de notre vieil homme. Dennis est en pleine descente, son coeur s'emballe mais reste néanmoins dépendant de la circulation, il ne peut rouler cheveux au vent comme il le souhaite et ça, ça le perturbe. Alors Dennis conduit au frein, sans m'avoir concerté avant...
Après le premier arrêt je comprends alors que je vais devoir vite boire mon café, car le bus se remplit de plus en plus et Dennis devient de plus en plus nerveux. La virée continue et les gens qui entrent pigent rapidement qu'il faut éviter de rester dans mon périmètre. L'air de rien, lunettes de soleil sur le nez, je feinte de gérer parfaitement la situation, il ne me reste que deux arrêts et mon café est à moitié rempli. Fière de moi, je baisse ma garde et ne fais pas attention au papi à ma droite qui se lève, me bousculant légèrement, mon café se déverse un peu malencontreusement par terre, sans toucher la moindre personne. Ouf, j'évite la casse !

La fin du trajet se fait sereinement et je descends du bus la tête haute. Sur le court chemin qui me mène au cabinet, je reprends quelques gorgées et avant de m'introduire dans l'immeuble repère une poubelle pour jeter mon gobelet. Les poubelles publiques en Israel sont toutes couvertes par un cendrier géant. La poubelle est donc accessible sur les côtés.
J'ai mal calculé mon coup et ai introduit le verre trop haut, je ne voulais pas toucher avec ma manche le moindre centimètre de cette poubelle. 
Le drame. Non seulement j'ai été surprise quand le verre a cogné la paroi du haut, mais j'ai aussi paniqué quand le reste du café (et son marc) s'est déversé sur ma main et alors le réflexe le plus con au monde m'est venu, au lieu de mettre mon bras vers le bas je l'ai levé pour vérifier si ma manche n'avait pas été tachée, et les quelques gouttes du café se sont introduites vicieusement à l'intérieur de ma manche.
Je suis donc arrivée comme une pouilleuse et sur les nerfs dans le bureau de l'avocat, c'est pour cette raison que les représentants de la boîte de prod n'ont pas voulu me désigner au poste que je visais et que j'ai fini seulement par signer le bail de mon nouvel appartement :)


19.11.13

Merci Mahmoud !

Chers lecteurs, vous qui êtes des millions à me suivre, je vous prie de m'excuser pour cette longue absence, vous aussi vous m'avez manqués....
Pour me faire pardonner, un roman, qui vous prendra 3 jours à lire.


Il y a quelques semaines je travaillais en tant que "régisseuse"/"runneuse"/chauffeur sur le tournage d'un film français tourné dans le nord d'Israel, près de Haifa. 
Mon boulot était simple : le matin, aller chercher les actrices et les emmener sur le tournage. Le soir, les ramener chez elles. Entre, courir de partout pour aller chercher les éclairages qui manquent et d'autres trucs complètement inutiles mais qui servent tout de même à sauver la face du monde.
Nous sommes un lundi, il est 17h30 , il fait déjà nuit et je dois aller chercher dans un magasin des cartouches d'imprimantes.

Le magasin, situé à 15min en voiture de notre lieu de tournage, ferme à 19h. 
Je n'ai pas de GPS, je n'ai pas d'application qui fait GPS, je n'ai pas mes lunettes car je les ai oublié (seulement celles de soleil qui sont à ma vue) je n'ai pas d'application qui fait lunettes. Je ne connais pas le chemin et le régisseur avant de m'envoyer en mission me dit : "Putain Sara on est dans la merde faut absolument qu'on imprime des contrats pour les figurants ce soir sinon on...." je ne me souviens plus de la suite, je suis restée bloquée sur les mots "putain" "absolument" "contrats".
Avant de prendre la route vers le néant, je me rends sur google maps afin d'écrire mon itinéraire et prends en photo la carte. Le chemin n'avait pas l'air si compliqué que ça, le magasin étant sur l'avenue principale de la ville. J'avais 1h15 devant moi, ce qui me laissait une marge d'environ 45 minutes au cas où je me perdais. J'étais confiante, innocente...

Feuille de route en main, lunettes de soleil sur le pif je file en voiture accomplir cette mission. 
Dix minutes plus tard je suis perdue, mais "c'est pas grave" me dis-je, vu qu'il me reste encore beaucoup de temps pour arriver à destination. 
Je m'arrête dans une station service pour demander mon chemin. Erreur de ma vie. La fille qui y travaille me dit que je dois faire demi tour, je dois reprendre le tunnel (ce qui m'a coûté la modique somme de 2€) pour retourner sur mes pas. Je la crois. Erreur de ma vie.
Je suis ses indications et redemande mon chemin à un automobiliste à la sortie du tunnel.
Lui "t'as pas WAZE ?" (application inventée par les israéliens, vendue plus d'un milliard de dollars à Apple, qui fait GPS tout en tenant compte de la circulation en temps réelle, il est donc logique que tout les israéliens la possède et en font l'application de leur vie du genre : "et t'aurais pas des pansements sur toi ? Je viens de me couper avec cette feuille de papier." "Non j'en ai pas mais j'ai WAZE !") Bref, après lui avoir répondu que "non je n'avais pas WAZE et je vis très bien sans" il m'indique que je suis dans la mauvaise direction et que je dois prendre le tunnel. Je lui dis que la nana de la station service vient de me dire le contraire. Il me regarde l'air de "tu crois qui, elle ou moi ?". 
Ni une ni deux, je passe la première, fais demi-tour, repasse le tunnel...enfin non...parce que le tunnel je le retrouve plus. Je m'engage sur une route qui monte, monte, monte, personne dans la rue, pas d'indication, j'appelle le régisseur et lui demande le téléphone du magasin pour qu'un des mecs qui y travaille m'indique le chemin. Mes nerfs montent, montent, montent et je tombe sur Mahmoud, qui me répond au téléphone avec une pointe d'accent arabe et une voix assez haut perchée. 
Folle de rage (pas contre lui mais fallait que ça sorte) et les sanglots dans la gorge, je lui dis que je suis complètement paumée, que personne ne m'indique le bon chemin, que j'ai des envies de meurtre, que si je n'arrive pas à temps pour les cartouches je vais me faire virer, je vais rater ma vie. 
Ce à quoi Mahmoud me répond en riant : "Calme toi motek (chéri) calme toi ! Mais dis moi, tu es française ?" Ce à quoi je lui réponds : "A ton avis ? Avec ce putain d'accent qui me colle ?!" Mahmoud décidément en grande forme, appelle tous ses collègues et met le haut-parleur. Il me dit de lui décrire la route et de demander à la première personne que je vois de me préciser où je suis exactement. Je lui dis qu'il n'y a personne dans ce bled et que la route ne cesse de monter. Il comprend que je suis sur la bonne route, sauf que c'est celle de CHRA, celle qui fait le tour de tous les bleds. J'entends un des ses camarades émettre un son qui évoquait un certain : "Ouhhhhhhh elle arrivera sûrement dans deux semaines à cette allure". 


                                Illustration, Sarah Vieille (la plus belle)

Le destin aidant, je sens que je m'approche d'un centre ville, Mahmoud ne cesse de me répéter "demande à quelqu'un", j'approche d'une sortie de supermarché et demande de l'aide à un homme debout, un sac plastique à la main. Mon approche était celle-là : "Je vous en supplie je suis paumée, j'ai quelqu'un au téléphone qui peut m'aider mais moi je peux pas l'aider à m'aider alors si vous pouvez l'aider à m'aider ça serait génial". Mahmoud mort de rire. Moi aussi parce que je pète un câble. Mon interlocuteur est quant à lui inutile, parce que bourré. Mahmoud me dit "casse toi et demande à un autre". Quelques mètres plus loin, un homme charge sa voiture de courses, même approche, il saisi mon portable et parle avec Mahmoud. Avant de lui dire où je me trouve, je l'entends dire : "Oui elle a l'air un peu..." Un peu quoi ? Paniquée ? Perdue ? Folle ? Psychopathe ? En vérité les quatre était plausibles, car ma tignasse de sauvageonne et mes lunettes de soleil au nez alors qu'il faisait nuit, ne m'aidaient en rien dans ma quête. L'homme raccroche, me redonne le téléphone et commence sa phrase par un "Takshivi !" (écoute!) sec, dur, effrayant et russe. Il m'indique encore mieux que n'importe quelle carte le chemin à trois reprises et me dit de rappeler Mahmoud quand j'arrive au niveau de l'université. 
Je le remercie et suis tellement rassurée qu'en partant je lui lance un "neshikot" (bisous). 

Chemin parfaitement indiqué, je rappelle Mahmoud, qui me félicite, continue à m'indiquer la route et me demande entre deux feux rouges si je parle avec un kit mains libres. Je lui dis que non, mais que je suis extrêmement prudente et une très bonne conductrice. Je le remercie de prendre le temps de m'aider et lui demande si je ne le mets pas en retard pour un dîner romantique avec sa copine. Erreur de ma vie. Mahmoud me dit que c'est un plaisir de m'aider, que non il n'est pas attendu et qu'il serait ravi de m'emmener prendre un verre. "Oh c'est gentil de ta part mais je dois retourner illico presto sur le tournage après donc non". Il me fait la blague du siècle en me disant qu'on peut passer notre date au téléphone jusqu'à ce que j'arrive à la boutique.
Miraculeusement je vois pour la première fois depuis une heure, le panneau qui indique la ville (dont je ne me souviens même plus du nom !). Je pousse un cri de déglingo de la tête, lui aussi, ses collègues aussi, et j'arrive enfin au magasin. Par le manque de visibilité, moi la super conductrice, je manque de défoncer la chaîne qui empêche l'accès au parking, mais Mahmoud m'accueille devant ma voiture, 17 ans à tout casser, mignon comme tout et très curieux de voir qui j'étais ! En trente secondes j'avais les cartouches dans ma voiture, un de ses collègues m'explique 4 fois le chemin du retour, que je trouve facilement. Suis de retour en 13 minutes chrono sur lieu de tournage et reviens comme une superwoman cartouches à la main, mission accomplie, tête haute. 


Seul Mahmoud, ses copains, le bourré, le russe et moi-même savons ce qui s'est réellement passé ce soir là. 

Sans Mahmoud je ne serais pas là, virée, je me serais sans doute retrouvée à dormir sous un pont, à me nourrir de miettes de felafel volées aux mouettes imaginaires de Tel Aviv....

Mahmoud, si tu me lis, je t'aime.