12.8.13

Le train

C’est fou ce qu’on peut entendre et voir dans un train en l’espace d’une heure, sans même bouger de place.

Je suis côté couloir, vient s’asseoir à ma diagonale (dans un espace de quatre sièges disposés en carré), un homme d’une trentaine d’années. Type lambda, physique israélien, bronzé, lunettes de soleil sur la tête, qui traîne des pieds à cause de la chaleur et parle trois décibels plus haut que la normale mondiale. Ce type devient intéressant et se transforme en véritable Superman quand il décide d’organiser au téléphone le barbecue du soir. Organiser de A à A son barbecue entre potes. Mais pas « organiser » genre j’envoie un message à tous les copains en disant qui doit ramener quoi, non organiser comme si sa vie, celle de sa famille, la mienne ainsi que celle de tous les habitants de la planète en dépendaient. Comme si tout allait s’arrêter, d’un coup, comme ça, si la cuisson des merguez est foirée, si les chips sont molles et les assiettes sont en carton.

C’est donc avec un ton très dramatique que l’homme commence par appeler l’ami n°1. J'ai tout de suite pensé qu’il allait lui annoncer une tragique nouvelle car il a commencé par un "écoute-moi", digne d’une réplique foireuse de Bergman du genre "écoute-moi, il n’y a plus de krisprolls pour le petit-déjeuner il va falloir que tu mettes tes sabots en bois et que tu ailles en chercher à l'épicerie du village voisin situé à 80 km."
Bref, s’en est suivi tout un discours sur le fait qu’il ne pensait pas qu’il faille apporter de viande en plus, car il était déjà passé chez le boucher le matin et que comme untel et unetelle ont décommandé, il allait y avoir largement de quoi manger. Sous-entendu : ce untel et unetelle sont deux gros porcs, ils mangent pour dix et se resservent en plus.
Moi je dis ça je dis rien mais j’aimerais pas être à leur place, vu la réputation qu’il leur fait.
Durée de l'appel : dix minutes.

On passe à l’ami n°2. Après avoir répété la même chose à propos de la viande, il enchaîne sur le problème des bières. Et oui les enfants un barbecue sans bières c’est pas un barbecue. Au lieu de régler le problème en deux secondes en demandant à sa femme de vérifier combien de bières il restait dans le frigo, Superman décide de s’inventer des dons de pachyderme et de se souvenir combien il lui en reste, en fermant les yeux, levant la tête et fronçant le nez (position ô combien confortable pour tenter de se souvenir de quelque chose). Mais fais ça avant d’appeler gars ! Au lieu de dire "non attends, hier j’en ai bu une, ma femme aussi, euh…il en restait 3 packs, 3 de 6 bières bla bla bla…" Mais je m’en tape de ta vie et je dis ça je dis rien ton pote aussi je suis sûre qu'il s’en tape aussi.
Durée de l'appel : douze minutes.

L’ami n°3 est inutile car il n'a pas réussi à le joindre, quoique, le message vocal laissé est assez mémorable, ça donnait ça en gros : "Salut ami n°3, juste pour te dire que je viens de parler à l’ami n°1 et 2, pas besoin de kebab en plus, ni de bières, mais rappelle-moi, il faut que je te parle d’un truc important." Tout ça avec un air grave sur le visage, la voix basse. Je dis ça je dis rien, mais il a fait exprès de pas répondre ton pote, il savait que t’allais lui prendre la jambe pendant des heures.
Durée de l'appel : trois minutes.

Superman a décidément le sens de la narration, du suspense, il garde le meilleur pour la fin. L’ami n° 4. Mon préféré. C’est l’ami qui en a tellement rien à secouer du barbecue, qu’il a oublié et a prévu d’aller au cinéma avec une copine. La chose la plus dingue, c’est qu’au lieu de lui faire la morale et d’enchaîner sur la moutarde ou le ketchup à ne pas oublier, Superman lui demande quel film il avait prévu de voir, à quel cinéma et avec quelle amie précisément. La discussion dérive alors sur le fait qu’un acteur israélien a fait son coming out il y a quelques jours et que nombreuses sont les fan(e)s déçues par cette nouvelle. Quelques secondes après, nous arrivons à l'arrêt Tel Aviv Hashalom, Superman prend sa sacoche à moitié vide et se précipite vers la sortie.
Je ne saurais jamais comment s’est fini la conversation, ni ce que l’ami n°4 voulait voir au cinéma, ni pourquoi cette organisation a pris une tournure militaire, tout ce que je sais c’est que d’entendre parler de viande pendant une demi heure m’avait donné une dalle énorme. D’un regard profond et noir j’ai vérifié combien d’argent j’avais sur moi pour me payer un steak. J’avais de quoi m'en payer le gras, à la limite, et que d’un geste détaché j'ai alors refermé mon portefeuille, serré les dents, croisé mes bras et me suis dis « Enc*** de ta ra** je te c***** au m***, prochaine fois que je te croise dans le train je te fais bouffer ton portable si tu ne m'invites pas chez toi pour me faire bouffer de la bonne barbaque. »



6.8.13

Rachel - Part II


                                                       Illustration, Sarah Vieille

Rachel est venue seule ce matin, sans lunettes de soleil, elle s'est assise à l'intérieur.
Elle a commandé (comme d'habitude) un café au lait avec de l'eau chaude en plus à côté et un croissant aux amandes.
Je lui ai demandé pourquoi elle était toute seule aujourd'hui, elle m'a répondue : "Oh tu sais j'avais des choses à faire ce matin à la maison et les autres filles ne m'ont pas attendu elles étaient là à 10h, tu les a pas vues ?" Je lui ai répondu que je travaillais à l'intérieur du café, donc non, car elles sont toujours dehors normalement.

Elle a soupiré comme une vieille mamma juive.

J'en ai eu les larmes aux yeux...

Hatoulim

Je dédicace ce billet à mon chat, Hatoul, resté à Paris et qui, je le sais, je le sens, je l'espère, pense à moi tous les jours, toutes les nuits, même quand il dort.



Comme j'ai pu l'écrire précédemment, la rue Bialik de Ramat Gan, est longue d'environ 346 km. Touts les matins entre 7h50 et 8h je la parcours de haut en bas pour me rendre avec joie au travail. 
Je passe en moyenne devant 20 boutiques, toujours sur le même trottoir, celui de droite.
Certaines sont déjà ouvertes, d'autres lèvent les rideaux de fer. 
Il y a quelques jours j'ai remarqué, qu'un nombre incroyable de chats squattent cette rue.
Ce ne sont pas les chats qui m'étonnent, il y en a beaucoup en Israel comme dans tous les pays méditerranéens, mais c'est leurs comportements que je trouve particulièrement débile.

Le chat mesquin ou "meskin" (mais con aussi) : 14 rehov Bialik.

Celui qui ne cesse de miauler devant un café qui fait son ouverture. Aucun client n'est assis dehors, pas moyen donc de choper un bout d'omelette ou de fromage tombé de l'assiette d'un petit-déjeuner. Ce chat fait les 400 pas en usant de sa plus belle voix pour amadouer...le néant. Je n'ai jamais compris ce qu'il voulait.

Le jour où je ne travaille pas le matin, je me pointe à ce café et vois ce que le chat meskin recherche.


Le chat flippant : 20 - 22 rehov Bialik.

Un chat blanc tacheté noir qui n'en a rien à foutre des passants. Je pense qu'il se prend pour Jésus, il reste AU MILIEU du trottoir, assis et regarde toujours devant lui. Je le vois toujours de dos puisque j'arrive derrière lui, je n'ai jamais osé me retourner pour voir à quoi il ressemblait de face, j'ai peur de me transformer en statut de sel comme dans la légende, parce que oui, ce chat malgré sa petite taille, est FLIPPANT. 

Le jour où je ne travaille pas le matin, je me retourne pour voir sa tronche.

Le chat qui porte des costards : 30 rehov Bialik. 

Ce chat est roux, il est mignon et me fait de la peine. Il est assis devant la porte d'un magasin de costards. Il attend son ouverture en remuant calmement la queue et ne laisse paraitre aucune émotion. Il me fait tellement de peine car j'imagine tous les matins que les retouches de son costume ne sont toujours pas prêtes, qu'il essaye d'en toucher un mot au tailleur qui fait le sourd d'oreille, qu'il se marie avec la femelle du coin dans quelques jours et qu'il a toujours rien à se foutre et qu'aucun chat de la rue ne veut l'aider. 

Le jour où je ne travaille pas le matin, je vais lui dire moi au responsable du magasin de quel bois il se chauffe !

La chatte qui fait le trottoir : tout Bialik.

Elle est toute noire, se dandine comme une panthère et pourrait être l'équivalent de Bar Rafaeli en chat.
Même moi je la trouve mignonne. Je sais pas si elle est vraiment une prostituée, personne me l'a confirmé, mais rien qu'à voir comment les autres matous la matent, c'est sûr et certain qu'elle en a brisé des coeurs et fait chavirer des moustaches. 

Le jour où je ne travaille pas le matin, je lui demande ce qu'elle pense de sa réputation.

Le gros chat : 34 rehov Bialik.

Il est comme son proprio, celui qui tient le kiosque du coin, gros, moche et poilu. Il est allongé à l'ombre et tourne avec le soleil. Il est franchement antipathique, il est à mes yeux, la chose la plus inutile au monde, même plus inutile que les cures-dents ou les arbres magiques dans les voitures. C'est son maître qui m'énerve en fait parce qu'il est méchant et qu'il sent pas bon. Le chat c'est pas sa faute mais j'arrive pas à ne pas lui en vouloir.

Le jour où je ne travaille pas le matin, je fais mes excuses au chat pour l'avoir jugé trop rapidement.

Et demain, je prends le trottoir de gauche pour changer. 



1.8.13

Rachel

12h30. C'est Rachel Time !

11h05. La première amie du groupe est assise à la meilleure table de la terrasse.
Celle au coin de la rue, celle qui chope tout les courants d'air, celle qui est au centre de l'attention des serveurs, des passants, des clients et même des chats errants.
Elle sait pertinemment que le reste de la troupe sera en retard, car tous les jours, à peine assise, c'est la même sérénade : "Oh elles sont pas encore là ? Mais c'est pas possible elles sont tout le temps en retard!" Non cocotte, c'est toi qui ne sais pas lire l'heure et qui arrive trois plombes avant tout le monde.
11h27. Elle est énervée, très énervée...
11h30. Les autres poules de la basse-cour se pointent une à une. La stressée de la vie peut enfin souffler et aller aux toilettes, elle avait si peur de perdre sa place : la table 23. Mais Rachel n'est toujours pas là...
"Vous voulez commander ?" "Non ma douce, d'abord de l'eau très froide, il fait chaud!"

Il faut s'imaginer avec quelles mimiques les femmes âgées demandent un verre d'eau. Le visage suppliant comme ci elle allait mourir sur place, accompagné d'un geste de la main pointant leur gorge, au cas où on avait pas compris l'anatomie humaine : "oui l'eau s'écoule vraiment par là."

Ce qu'il y a aussi de fascinant chez elles, c'est leur logique. Voyez-vous la petite bande est constituée d'une moyenne de six personnes. La première (la stressée de la vie) s'est assise à une seule petite table, les autres se sont assises petit à petit autour de cette même table en récupérant les chaises libres des environs mais sans prendre la peine de demander à ce qu'on leur apporte une autre table.
Il y a donc six personnes autour d'une table, laissant des tables sans chaises donc inutilisables et quand on essaye de leur expliquer qu'il vaut mieux mettre une autre table, elles répondent tous en coeur : "pas besoin, on veut pas déranger..."

Passons.

11h40. Une fois tous les verres d'eau servis, les premières commandes tombent, elles sont évidemment plus reloues les unes que les autres et Rachel n'est toujours pas là...
11h45. Les boissons arrivent, les glaçons fondent, il fait chaud, les poules sont assoiffées.
12h00. Les volatiles s'agitent et seule la fille de Rachel reste "calme", elle ne se soucie même pas de la non-apparition de sa mère mais seulement du fait que le énième verre d'eau que je lui ai apporté n'est pas assez froid elle qu'elle a chaud ! "si t'as soif comme ça c'est peut-être parce qu'il fait 35° à l'ombre, que t'as plus vingt ans et que tu portes un jean non ?" lui dis-je, dans un dialogue imaginaire bien sûr...
12h15. Les langues se délient timidement "Je l'avais dis à ta mère moi que ça allait arriver"."Mais j'ai jamais dis ça c'est ta mère qui dit n'importe quoi !". La fille reste impassible, elle a chaud, c'est tout. Rachel n'est toujours pas là...
12h20. Le calme plat, la chaleur assomme tout le monde, moi la première.
12h30. Un cri de joie, tous les visages se tournent, elle est là ! Enfin presque, car il faut encore qu'elle traverse la rue.

Rachel, est âgée d'environ 70 ans, petite, un peu rondelette, cheveux châtain choucroutés, lunettes de soleil dégradées à strass, démarche de la mamie fatiguée par la vie, sac à main lourd où elle a mis sa maison dedans (son mari y est sans doute aussi), chaussures toujours accordées à son haut, bagues à presque tous les doigts, manucure quasi nickel, pareil pour le rouge à lèvres, léger accent russe, grande grande comédienne...

Je ne peux que l'aimer Rachel, parce qu'elle a tout compris !
Elle attend que ses amies se soient toutes racontées leur vie et arrive bien après pour pouvoirparler tranquillement sans que personne ne l'interrompt. Elle prépare son arrivée, en émettant des petits gémissements qui traduisent sa fatigue et qui s'entendent de l'autre bout de la ville. Elle feinte et fait comme ci elle ne savait pas que toutes ses amies la regardent et marche avec de plus en plus de difficultés. Elle envoie des bisous généraux à celles déjà présentes avant de s'assoir comme on remercie une audience et évite par la même occasion de claquer douze fois la bise. Tout le poulailler finira par lui pardonner son retard (une heure), car elle est tellement sympathique qu'on ne peut pas lui en vouloir. Et puis au fond tout le monde le sait, c'est elle La poule, la number one des galliformes* !

Moi plus tard j'aimerais être une Rachel !



* oui je suis allée chercher sur internet le nom de l'espèce.

Ah bon...

Parfois j'oublie que je suis en Israel et je suis surprise quand je vois un rabbin passer dans la rue.