1.8.13

Rachel

12h30. C'est Rachel Time !

11h05. La première amie du groupe est assise à la meilleure table de la terrasse.
Celle au coin de la rue, celle qui chope tout les courants d'air, celle qui est au centre de l'attention des serveurs, des passants, des clients et même des chats errants.
Elle sait pertinemment que le reste de la troupe sera en retard, car tous les jours, à peine assise, c'est la même sérénade : "Oh elles sont pas encore là ? Mais c'est pas possible elles sont tout le temps en retard!" Non cocotte, c'est toi qui ne sais pas lire l'heure et qui arrive trois plombes avant tout le monde.
11h27. Elle est énervée, très énervée...
11h30. Les autres poules de la basse-cour se pointent une à une. La stressée de la vie peut enfin souffler et aller aux toilettes, elle avait si peur de perdre sa place : la table 23. Mais Rachel n'est toujours pas là...
"Vous voulez commander ?" "Non ma douce, d'abord de l'eau très froide, il fait chaud!"

Il faut s'imaginer avec quelles mimiques les femmes âgées demandent un verre d'eau. Le visage suppliant comme ci elle allait mourir sur place, accompagné d'un geste de la main pointant leur gorge, au cas où on avait pas compris l'anatomie humaine : "oui l'eau s'écoule vraiment par là."

Ce qu'il y a aussi de fascinant chez elles, c'est leur logique. Voyez-vous la petite bande est constituée d'une moyenne de six personnes. La première (la stressée de la vie) s'est assise à une seule petite table, les autres se sont assises petit à petit autour de cette même table en récupérant les chaises libres des environs mais sans prendre la peine de demander à ce qu'on leur apporte une autre table.
Il y a donc six personnes autour d'une table, laissant des tables sans chaises donc inutilisables et quand on essaye de leur expliquer qu'il vaut mieux mettre une autre table, elles répondent tous en coeur : "pas besoin, on veut pas déranger..."

Passons.

11h40. Une fois tous les verres d'eau servis, les premières commandes tombent, elles sont évidemment plus reloues les unes que les autres et Rachel n'est toujours pas là...
11h45. Les boissons arrivent, les glaçons fondent, il fait chaud, les poules sont assoiffées.
12h00. Les volatiles s'agitent et seule la fille de Rachel reste "calme", elle ne se soucie même pas de la non-apparition de sa mère mais seulement du fait que le énième verre d'eau que je lui ai apporté n'est pas assez froid elle qu'elle a chaud ! "si t'as soif comme ça c'est peut-être parce qu'il fait 35° à l'ombre, que t'as plus vingt ans et que tu portes un jean non ?" lui dis-je, dans un dialogue imaginaire bien sûr...
12h15. Les langues se délient timidement "Je l'avais dis à ta mère moi que ça allait arriver"."Mais j'ai jamais dis ça c'est ta mère qui dit n'importe quoi !". La fille reste impassible, elle a chaud, c'est tout. Rachel n'est toujours pas là...
12h20. Le calme plat, la chaleur assomme tout le monde, moi la première.
12h30. Un cri de joie, tous les visages se tournent, elle est là ! Enfin presque, car il faut encore qu'elle traverse la rue.

Rachel, est âgée d'environ 70 ans, petite, un peu rondelette, cheveux châtain choucroutés, lunettes de soleil dégradées à strass, démarche de la mamie fatiguée par la vie, sac à main lourd où elle a mis sa maison dedans (son mari y est sans doute aussi), chaussures toujours accordées à son haut, bagues à presque tous les doigts, manucure quasi nickel, pareil pour le rouge à lèvres, léger accent russe, grande grande comédienne...

Je ne peux que l'aimer Rachel, parce qu'elle a tout compris !
Elle attend que ses amies se soient toutes racontées leur vie et arrive bien après pour pouvoirparler tranquillement sans que personne ne l'interrompt. Elle prépare son arrivée, en émettant des petits gémissements qui traduisent sa fatigue et qui s'entendent de l'autre bout de la ville. Elle feinte et fait comme ci elle ne savait pas que toutes ses amies la regardent et marche avec de plus en plus de difficultés. Elle envoie des bisous généraux à celles déjà présentes avant de s'assoir comme on remercie une audience et évite par la même occasion de claquer douze fois la bise. Tout le poulailler finira par lui pardonner son retard (une heure), car elle est tellement sympathique qu'on ne peut pas lui en vouloir. Et puis au fond tout le monde le sait, c'est elle La poule, la number one des galliformes* !

Moi plus tard j'aimerais être une Rachel !



* oui je suis allée chercher sur internet le nom de l'espèce.

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